mercredi 28 mars 2007

Compassion sélective





’ai assisté samedi dernier aux « premières rencontres du cinquième pouvoir », manifestation organisée par Agoravox, le site référence de ce qu’on appelle désormais « le journalisme citoyens » (Je reviendrai dans un autre billet sur les détails de cette journée). A la fin de l’intervention de Natacha Quester Seméon, fondatrice de Humains Associés, qui s’exprimait sur le travail de son association sur Second Live, elle a appelé à la solidarité avec Karim Amer le blogueur égyptien qui vient d’écoper de 4 ans de prison pour des textes publiés sur internet. Bien évidement cette initiative est à saluer surtout, et à ma grande surprise, qu’il n’y en a pas eux d’autres durant cette journée citoyenne !

Je me suis alors posé la question de savoir pourquoi une affaire attirerait plus l’attention qu’une autre ? Qu’est ce qui fait qu’on retienne un nom, plutôt qu’un autre ? Pourquoi certaines injustices sont elles hyper-médiatisées et d’autres quasiment ignorées ? Autant de questions auxquelles je ne trouve pas de réponses. Bien évidement le but n’est pas de faire de la quantification ou des comparaisons entre les souffrances, mais justement partant du principe que toutes les souffrances sont égales, pourquoi alors une telle compassion sélective ? Plus inquiétant encore, on a le sentiment que la nature des prises de positions et des idées exprimées détermineraient au préalable l’importance de la couverture médiatique ainsi que la mobilisation que susciteront les poursuites judiciaires ou l’incarcération de ceux qui les expriment !

Le phénomène de la compassion sélective n’est pas nouveau. Faut-il certainement y voir la prédominance des médias de masses qui ont formaté l’information en la réduisant à des symboles qui ont pour but de susciter de l’émotion. Selon le pays, la culture et l’histoire du consommateur de l’information, sa réaction face à l’information n’est pas la même. C’est donc tout naturellement que pour les médias occidentaux, un blogueur égyptien incarcéré pour avoir sévèrement « critiquer » l’Islam, est beaucoup plus accrocheur médiatiquement qu’un avocat père de deux enfants, époux d’une femme remarquable, torturer et jeter en prison pour un texte qui dénonce l’état des prisons tunisiennes et les exactions qui s’y pratiquent. Les médias alternatifs qui ont émergé avec les nouvelles technologies de l’Internet, avaient initialement pour objectif de se soustraire à cette information du symbole et de l’émotion. Mais semblent en fin de compte succomber aux mêmes tentations simplificatrices et stéréotypées.

Cela n’est pas seulement le fait des médias français, ou des sphères qui ne sont pas directement concernées par ces pratiques, ce phénomène existe aussi dans les pays touchés par des cas de censures et de représailles. Le net tunisien est un bon exemple de ce renoncement et de cette fascination pour des cas surmédiatisés alors que la majorité de ses acteurs ignorent presque tout de certains de leurs compatriotes emprisonnés ou poursuivis pour des faits similaires. Alors que l’affaire Karim Amer a suscité et suscite encore un fort élan de solidarité, certains blogs arborent même les affiches de soutient au blogueur égyptien, à l’époque de l’enlèvement de Maître Mohamed Abbou, son procès monté de toute pièce et sa condamnation injuste à 3 ans et demi de prison, n’avait que très peu ému le net tunisien en dehors des sites militants. Le triste 2ème anniversaire de son incarcération, n’a suscité que quelques lignes de commentaires sur des billets qui en parlaient à peine. Encore plus consternant, à ma connaissance et j’espère me tromper, l’affaire Abbou n’a pas tant passionné la blogosphère égyptienne ni les autres blogosphères arabes non plus.

Il ne faut pas non plus oublier que la médiatisation du cas Amer est sûrement aussi le fruit de la mobilisation de la blogosphère égyptienne qui fait un travaille remarquable aussi bien sur Internet que sur le terrain. Pour le cas Abbou, Mais aussi de celui de Mohamed Fourati lui aussi poursuivi et condamné par contumas à 14 mois de prison pour deux textes publiés sur Internet. Le juge Mokhtar Yahyaoui, révoqué pour avoir demander l’indépendance de la justice dans une lettre publiée sur Internet, pour autant de noms, parmi tant d’autres, le soupçon de volontarisme que les blogueurs tunisiens emploient pour médiatiser le cas d’un blogueur égyptien ou d’un journaliste marocain, ne semble pas au rendez-vous pour des cas censés plus proches.

Encore une fois le but de ce billet n’est pas de quantifier la solidarité qu’on se doit à tel ou tel personne. Je ne peux que me réjouir qu’on parle autant de Karim Amer, mais j’aurais aimé que cela ne soit pas au dépend d’autres victimes de l’absurdité des dictatures qui sévissent encore dans le monde. Il ne faut pas que toutes ces victimes subissent la double injustice d’être à la fois sanctionnées pour avoir exprimer leurs idées et oubliées par ceux a qui elles étaient destinées.



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