samedi 5 juillet 2008

Affaire Al-Doura : 8 ans après, il est temps que le petit mohammed repose en paix.


e 30 septembre 2000, au carrefour de Netzarim, aux abords de la bande de Gaza, le petit Mohammed Al-Doura était tué par balle dans les bras de son père Jamal, qui tentait de le protéger. L’atroce scène de la lente agonie de ce petit garçon filmé par le caméraman Talal Abu Ramah et commentée par Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem, fait le tour du monde et provoque l’indignation de l’opinion internationale sur fond de début de la 2e Intifada.

Aussitôt les autorités israéliennes soutenues par l’extrême droite israélienne mettent en doute la véracité des images et crient à la manipulation. Les images seraient « un montage partial à but propagandiste ». L’agence de presse israélienne MENA - Metula News Agency réalise un documentaire de 20 minutes, AL DURA : l’enquête, qui à partir des déclarations de Nahum Shahaf, physicien ayant participé à l’enquête de Tsahal, met en cause la réalité des scènes filmées par le cameraman de France 2 et conclut à « une véritable mise en scène jouée par des acteurs ». Un an plus tard c’est le correspondant permanent de la MENA à Paris, Gérard Huber, qui publie en janvier 2003, Contre-expertise d’une mise en scène, ouvrage reprenant la thèse du documentaire à la réalisation duquel il avait participé.

En France cette thèse du complot a été longuement étayée par Media-Ratings, une agence de notation des médias qui a conclu après enquête que selon les éléments dont elle disposait, « le correspondant de France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin, a effectivement diffusé un faux reportage ce 30 septembre 2000 » et exige « la démission immédiate de ceux qui se sont livrés à cette supercherie ». Arlette Chabot, directrice de l’information de la chaine publique française a aussitôt menacé de porter plainte contre toute personne qui accuserait France 2 d'avoir diffusé un faux et engage une procédure judiciaire de diffamation à l’encontre de Média-Rating et de son président Philippe Karsenty.

Le 19 octobre 2006, la 17e chambre du tribunal de grande instance de Paris, en charge de l’affaire, a déclaré Philippe Karsenty coupable des faits visés à son encontre et l’a condamné à 1000 € d’amende et à 3000 € de dommage et intérêts à France 2 et Charles Enderlin. Le condamné ayant fait appel, la 11e chambre de la cour d’appel de Paris, a ordonné un supplément d’information afin que France2 transmette les rushes pris par son cameraman Talal Abu Ramah.

S’en suit une bataille d’experts mandatés par les deux parties pendant laquelle l’accusation a effectivement présenté la totalité des images tournées par le caméraman de France 2. Des images qui mettent la scène en situation et permettent de constater l’existence d’au moins 3 autres caméramans de différents médias sur les lieux ce qui rend la thèse selon laquelle la mort du jeune Mohammed était « une mise en scène tournée par des acteurs », difficilement envisageable.







Mohammed al Dura. Les Images - Ma-Tvideo France2
Mohammed al Dura. Les Images - Ma-Tvideo France2

Images présentées devant la cour d'appel de Paris le 27 fevrier 2008



La défense a de son coté appelé entre autres, Jean-Claude Schlinger, expert en armes et munitions, auteur d’un rapport de balistique basé uniquement sur les images de France 2 concluant, sans même se rendre sur les lieux, dans un langage d’expert que :
« En tenant compte du contexte général et des nombreuses mises en scène que nous avons constatées sur l’ensemble des documents étudiés, aucun élément objectif ne nous permet de conclure que l’enfant a été tué et son père blessé dans les conditions qui ressortent du reportage de France 2. Il est donc sérieusement possible qu’il s’agisse d’une mise en scène. »
Mais voilà que le 21 mai 2008, coup de théâtre, la 11e chambre d’appel de Paris déboute les accusations de diffamation de France 2 et de Charles Enderlin à l’encontre du journaliste Philippe Karsenty ! Laurence Trébucq (Présidente de la Cour d’appel de Paris,) affirme le droit de celui-ci à exercer de bonne foi son « droit de libre critique ». France 2 et Charles Enderlin décident alors d'entamer un recours en cassation.

Suite à ce jugement, les supporters de la thèse du complot boivent du petit lait considérant que la décision du tribunal confirme les accusations de manipulation de la part de France 2 et de son envoyé spécial. C’est sous la plume d’Elie Barnavi, ambassadeur d’Israël en France au moment des faits, que le camp des « négationnistes » a réaffirmé ses arguments. Lors d’une tribune publiée sur l’hebdomadaire Marianne, intitulée L’honneur du journalisme, l’ex ambassadeur et défenseur inconditionnel de l’État d’Israël, soucieux de l’image de son pays, regrette que « depuis que juifs et Arabes s'affrontent sur ce bout de terre, rien n’a eu un effet aussi dévastateur sur l'image d'Israël et de ses armes que la mort du petit Mohammed al-Doura, seule la tuerie de Deir Yassin, le 9 avril 1948, a eu des conséquences plus graves. » !

Soutenant la thèse de la manipulation et reprenant presque tous les arguments circulant autour de cette affaire, Barnavi se base sur la littérature foisonnante sur le sujet, fruit de « l’acharnement de quelques francs-tireurs - pas tous des sionistes excités » selon lui et qui jettent « un doute sérieux sur la version des faits offerte par France 2. » Ainsi l’ex ambassadeur explique à propos du cameraman et du père du petit Mohammed :
« Il s'avéra bientôt que Talal Abou Rahma, le cameraman d'Enderlin - lequel n'était pas présent sur les lieux lors des faits - n'était point ce professionnel au-dessus de la mêlée que vantait son patron, mais, de son propre aveu - et il s'en faisait gloire -, un propagandiste au service de la cause palestinienne. Bien plus tard, on devait apprendre aussi que les cicatrices exhibées par le père de Mohammed étaient dues à des coups de couteau subis au cours d'une rixe à Gaza et soignés dans un hôpital israélien. Et bien d'autres choses encore. »
Charles Enderlin, qui une semaine plus tard répond dans le même Marianne, s’étonne, ironiquement, que M Barnavi n’ait pas vérifié ses informations auprès des services israéliens estimant que l’ex ambassadeur avait « certainement un niveau d’habilitation « sécuritaire » [lui] permettant l’accès à certains dossiers du Shabak, le service de sécurité intérieure israélien.» en affirmant :
« Pour le Shabak, Talal Abou Rahmeh qui a filmé la mort de Mohammed A Dura n’est pas un propagandiste palestinien et n’est soupçonné d’aucune activité subversive anti-israélienne comme vous l’affirmez. La réponse que nous avons reçue de ce service – et d’autres – lorsqu’il a fallu obtenir pour Talal une autorisation d’entrée en territoire israélien était la suivante : « Il est blanc comme neige ». Les accusations que vous portez contre lui sont fausses et inadmissibles »
En ce qui concerne Jamel le père du garçon Enderlin poursuit :
« Si vous aviez contacté Jamal avant de publier votre éditorial, il vous aurait décrit les soins qu’il a reçus à l’hôpital Shifa de Gaza; communiqué les radios qui montrent sa blessure au bassin. Le compte rendu des opérations subies à l’hôpital militaire d’Amman où d’ailleurs il a reçu les visites de deux journalistes israéliens, Tom Segev et Semadar Peri, également du Roi Abdallah »
Il a rappelé que les défenseurs de l’idée du « complot pro-palestinien » ont fait circuler des remueurs affabulant le père d’un passé trouble de narcotrafiquant connu des services israéliens. Il aurait d’ailleurs eu ces coups de couteaux, qu’il fait passer pour des impacts de balles, au cours d’un règlement de compte avec d’autres trafiquants. « Problème : Israël n’accorde pas de permis de travail à de tels criminels. Or, Jamal a travaillé – en toute légalité – chez une enseignante de l’université de Tel Aviv qui le raconte dans un livre. ». Rétorque le journaliste dans son droit de réponse.

Après avoir mis en doute la moralité et l’intégrité du caméraman de France 2 et de celle de Jamel, Barnavi continu en mettant en doute celle de toute la chaine. « La querelle se noua autour des rushes, dont on n'avait monté qu'une petite partie. » dit-il en se demandant « Que cachaient les autres ? L'agonie de l'enfant, qu'Enderlin disait avoir voulu épargner à ses téléspectateurs ? Ou des images moins douloureuses, mais aussi plus préjudiciables à sa version des événements ? » En s’empressant tout de même de formuler ses certitudes :
« On découvrit [à la vision des rushes NDLR] que la plupart des « affrontements » filmés avant la scène finale étaient du théâtre au bénéfice des caméras. Et l'on a vu le petit Mohammed lever la tête après les tirs censés l’avoir tué et jeter un regard furtif à la caméra. »
Le plus étrange dans ces affirmations c’est qu’elles contredisent les rushes en question (voir la vidéo plus haut). Des images encore une fois tournées par d’autres caméramans présents ce jour-là, comme l’explique Enderlin :
« Oui, Talal n’a filmé que ce que les circonstances permettaient. Ces scènes d’Intifada ont également été tournées par d’autres cameramen qui se trouvaient sur place, notamment d’Associated Press et de Reuters […] Pour notre part, lorsque cette campagne de diffamation a débuté, nous avons présenté les images à un médecin légiste qui a conclu que les mouvements de l’enfant étaient consistants avec l’agonie. (Selon le dictionnaire : les instants qui précédent la mort). »
L’agonie. Celle d’un petit garçon mort dans les bras de son père incapable de le protéger. C’est de cela qu’il s’agit au fond. Cette image est si dérangeante, si choquante mais aussi si symbolique d’une réalité quotidienne comme l’a dit le journaliste de France 2 en commentant les images. Mais c'étais le commentaire de trop. En parcourant rapidement la littérature qui traite de « la thèse du complot » on se rend rapidement compte que ce qui compte le plus pour ces « défenseurs de la vérité » à l’instar d’Elie Barnavi, c’est « l’image d’Israël ». Ce n’est pas que l’enfant soit en vie ou qu’il soit tué par les Palestiniens ou encore l’honneur de son armée…Rien de tout cela. C’est le fait qu’à travers quelques minutes d’images, se cristallise toute la cruauté de l’entreprise coloniale de l’État d’Israël. Et c'est finalement ce qui rend ces images insupportables pour les défenseurs de l'indéfendable.

Des images aussi abominables les unes que les autres on en a vu depuis. Mais les autorités israéliennes et ses défenseurs continuent et par tous les moyens, de vouloir faire croire que tout cela n’est que « mascarade », « cinéma » et « mise en scène ». Le caméraman, le père, l’enfant, Charles Enderlin, France 2, des médecins palestiniens et jordaniens, le roi abdallâh de Jordanie et quelques autres caméramans seraient tous des menteurs et des affabulateurs ! Tous ont participé à un énorme « complot » visant à salir « l’image d’Israël » et de son armée ! Et cela continu encore puisque M. Prasquier, le président du CRIF, à demander maintenant « la formation d’une commission médicale ad hoc destinée à vérifier l’origine des cicatrices de Jamal » !

Bien que le juge n’ait pas trouvé que cela soit diffamant pour le journaliste est sa chaine, cela n’enlève absolument rien au caractère farfelu et je dirais même pervers, des accusations de ses fossoyeurs. Que huit ans après la mort tragique du petit Mohammed, on continu à dire "qu’il est vivant et vend des fruits à Gaza", cela devient carrément abominable. N'est-il pas temps que Mohammed repose enfin en paix ?


Article publié sur www.nawaat.org



jeudi 3 juillet 2008

Les autorités tunisiennes confirment par les actes les accusations d’Amnesty International


l est grand temps que les autorités cessent de rendre un hommage de pure forme aux droits humains et qu’elles prennent des mesures concrètes pour mettre fin aux atteintes commises », déclarait voilà à peine une dizaine de jours Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord d’Amnesty International dans le dernier rapport de l’organisation sur l’état des droits de l’homme en Tunisie. Les autorités tunisiennes, qui avaient vivement rejeté les accusations formulées par AI, les qualifiant de « totalement subjectives et dépourvues de crédibilité » jurant la main sur le cœur que la loi anti-terroristes « est conforme aux standards internationaux et offre toutes les garanties aux accusés, […] et n'autorise aucune prorogation abusive ou arbitraire des délais de garde à vue et de détention préventive », ont eu, depuis la publication du rapport, l’occasion de montré leur « bonne foi ».

Dans un communiqué reçu par courrier électronique le 2 juillet 2008, AI affirme que Ziad Fakraoui, ancien prisonnier et victime présumée d’actes de tortures lors de sa détention et dont le cas a été cité dans le rapport, et depuis « victime de ce qui s’apparente à des représailles de la part des autorités tunisiennes.»
« Ziad Fakraoui, […] a été arrêté par des agents des services de sécurité en civil, le 25 juin 2008, deux jours après la publication du document, et n’a pas été revu depuis son arrestation. Les responsables des services de sécurité qui l’ont emmené ont dit à sa mère qu’ils le conduisaient au ministère de l’Intérieur mais ont refusé d'indiquer le motif de son arrestation. Sa famille et ses avocats ont cherché, en vain, à obtenir de ses nouvelles après son arrestation. Les avocats ont appris ce mercredi 2 juillet uniquement, soit sept jours après son arrestation, qu’il avait été présenté à un juge d’instruction le 28 juin et inculpé d’appartenance à une organisation terroriste et d’incitation au terrorisme. »
Rapporte le communiqué.

Or, il se trouve, comme le rappelle AI, que Ziad Fakraoui a déjà été arrêté en 2005, jugé puis condamné à douze ans d’emprisonnement en décembre 2007 - peine ramenée à 3 ans après appel en mai 2008 - pour les mêmes faits qui lui sont reprochés aujourd’hui. C’est donc pour répondre aux mêmes accusations qu’il a été présenté devant le juge d’instruction au mépris du droit tunisien ainsi qu’au mépris de toutes les conventions internationales condamnant les peines multiples (voir le documentaire sur le drame des peines multiples en Tunisie). Cette entorse flagrante au droit n’est pas la seule commise à l’encontre de M Fakraoui par les autorités tunisiennes. « Le fait que personne n’ait été informé du lieu où il était détenu signifie qu’il a été détenu au secret pendant plus longtemps que la période de six jours autorisée par la loi tunisienne. » Précise Amnesty international.

Craignant pour sa sécurité, l’organisation à par ailleurs lancé un appel pour soutenir le prisonnier en exprimant dans un communiqué reçu par email le 3 juillet 2008 (le communiqué en anglais), « ses craintes de tortures et mauvais traitements » dont pourrait être victime M Fakraoui, rappelant l’article 13 du code de procédures criminelles tunisien qui stipule que :
« Les suspects ne peuvent être détenus par la police ou par la gendarmerie nationale pendant plus de trois jours. Le procureur public à le pouvoir d’étendre cette détention de trois jours supplémentaires « en cas de nécessité ». Les autorités sont obligées d’informer les prisonniers des poursuites engagées à leur encontre, la raison et la durée de leur détention et de leurs droits garantis par la loi, incluant le droit à un examen médical durant ou après la détention. Ils sont également tenus d’informer un membre de la famille proche du détenu de son arrestation et de sa détention. »

Comme nous venant de le voir et comme presque toujours, c’est plus au niveau des responsables de l’application de la loi qu’a la loi elle-même qu'incombe les pratiques les plus honteuses décriées ici par Amnesty international mais aussi ailleurs par d’autres organisations nationales et internationales. Encore une fois la justice tunisienne accepte de se salir les mains en effectuant les basses besognes d’un régime totalitaire qui a fait de l’intimidation, de la répression et de la torture un pilier de sa politique exercée en Tunisie depuis voilà maintenant plus de deux décennies.

Malek
www.nawaat.org